Nouvelles considérations sur le conflit en Ukraine
Le professeur américain Stephen Biddle a publié un article sur la façon dont les forces armées russes ont stoppé l’élan ukrainien l’été dernier (voir lien ci-dessous 👇).
Il présente une vision alternative des causes de l’échec de la contre-offensive estivale. Alors que la plupart des analystes pointent du doigt les carences ukrainiennes, il présente l’adaptation de l’armée russe, grâce à de longs délais et à l’exploitation des premiers mois de combat, comme la cause principale de l’échec ukrainien : lignes défensives espacées dans la profondeur, utilisation systématique des mines, main-d’œuvre reconstituée et régénérée, mise en place d’un soutien logistique adapté comprenant d’importants stocks de munitions.
À mon avis, cela m’inspire trois considérations :
➡ S. Biddle nous incite à nous concentrer sur l’adversaire, plutôt que sur nos propres déficiences – réelles ou présumées. Cela implique de l’analyser sans concession mais objectivement pour adapter nos lignes de conduite. Dans la méthode de prise de décision militaire, tant au niveau tactique que stratégique, l’analyse de l’adversaire est essentielle. Revenons à l’essentiel.
➡ L’auteur explique l’échec tactique actuel par la supériorité ontologique de la défense sur l’attaque et minimise le rôle des nouvelles technologies du champ de bataille (drones, guerre électronique) dans l’échec de l’offensive ukrainienne. Je ne partage pas totalement ce point de vue : la transparence du champ de bataille, associée à l’hyper-destructivité des armes modernes, me semble être une cause majeure de la paralysie de la ligne de front. La transparence étant partagée par les deux belligérants, ses effets de pointe conduisent paradoxalement à l’immobilisme. Les innovations en cours (lutte anti-drones et guerre électronique) pourraient permettre de contourner cette tension entre l’épée et le bouclier.
➡ En remettant en question le paradigme occidental de la primauté de la qualité sur la quantité, il souligne la nécessité de disposer d’un modèle de force équilibré, s’appuyant sur la force morale, l’efficacité du commandement (et celle de ses outils : la connectivité du champ de bataille) autant que sur la profondeur logistique, capable de saisir une opportunité tactique comme de soutenir un conflit de grande ampleur.
Continuons à nous interroger sur notre propre perception de ce conflit pour mieux nous préparer à ceux de demain. Et soutenons, plus que jamais, les forces ukrainiennes, car l’histoire de ce conflit n’est pas encore écrite.